Thursday, January 24, 2008

Rejet de la Conférence de Goma. Creuser au-delà des arguments avancés


Rejet de la Conférence de Goma. Creuser au-delà des arguments avancés


La plupart de nos compatriotes du Sud et du Nord-Kivu vivant en dehors de notre pays ont exprimé un avis négatif vis-à-vis de l'organisation et de la participation à la Conférence de Goma du 06 au 14 janvier 2008. Leurs avis négatifs sur cette conférence sont souvent très bien argumentés. L'une ou l'autre communauté a, bien que rejetant cette conférence, indiqué les mesures à adopter pour ceux et celles qui y participeraient en vue d'éviter la politique de la chaise vide. Les évêques de la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) n'ont pas souhaité que la Conférence de Goma téléscope les institutions issues des élections. En effet, les arguments avancés par les uns et les autres permettent de mettre un peu plus de lumière sur des secrets de polichinelle. Néanmoins, il serait salutaire que nous, Congolais(es) puissions continuer de creuser un peu plus en profondeur pour essayer de mieux comprendre ce qui nous arrive en vue des actions concrètes pour un bonheur collectif partagé chez nous. Essayons de passer en revue quelques textes ayant rejeté cette conférence dite de paix.

I. Mama Jeanne-Marie Sindani et les autres

Pour justifier rejet de "cette conférence de la mort", Mama Jeanne-Marie Sindani évoque la haute trahison du gouvernement de Kinshasa lors de la débâcle de Mushake. En outre, elle note: " Chers compatriotes, savez-vous pourquoi les milices rwandaises ont été mixées dans l'armée congolaise? Savez-vous pourquoi les nations unies sont au Congo? Comprenez-vous pourquoi les milices rwandaises avec Nkundabatware et leurs alliés n'ont pas voulu marcher sur Goma après la haute trahison du gouvernement d'occupation placé à Kinshasa?"

Elle répond elle-même à toutes ces questions en ces termes:" Eh bien, les Rwandais au pouvoir à Kinshasa et le gouvernement rwandais de Kigali veulent faire avaler à l'opinion nationale et internationale que leur occupation ne se fera plus seulement par la violence sauvage mais aussi par la voie des négociations piégées sous pression des puissances extérieures qui devraient apparaître comme "légitimée" par des accords dits "de paix", au travers des documents signés par des Congolais eux-mêmes dans une conférence frauduleuse pour céder leur pays à l'envahisseur rwandais. Et par la même stratégie, la haute trahison du gouvernement congolais sera ainsi couverte par la naïveté des leaders nationaux congolais du Kivu qui devront signer eux-mêmes des accords sous pression et l'achat des consciences par la corruption et la manipulation pour un suicide collectif. " Tel est, pour Mama Jeanne-Marie, "le vrai motif d'une telle conférence, un marché des dupes!"

Ce texte de Mama Sindani lu et publié sur le site de Congonetradio la veille de l'Année 2008 a l'avantage d'évoquer la question stratégique.

En effet depuis plus d'une dizaine d'années, "un Institut des Grands-Lacs existe (…) et regroupe dans la plus grande discrétion les grands intellectuels tutsis à travers le monde. Dans les milieux tutsis, il s'appelle 'Institut de Havila' et 'rassemble pas moins de sept centres de Recherche, d'Intervention et de Rayonnement, implantés sur presque tous les continents." L'un des grands ténors de l'Institut Havila et Coordonnateur du Centre Gédéon, le capitaine CIRAMUNDA RICHARD-DELVAUX, est chargé de la défense et de la stratégie. "Ce jeune officier est spécialiste en Criminologie et en Etudes de stratégie militaire. Il a obtenu ses diplômes universitaires et militaires à l'Ecole Royale Militaire de Bruxelles et a choisi de mettre ses capacités d'analyse et d'engagement à la disposition de l'Institut Havila (…) (Lire E. KENNES, Mouvement d'extrême droite burundaise: comment pouvons-nous comprendre Havila?, Africa Museum, CEDAF, 2000). Le texte de Mama Sindani pose, en filigrane, la question de la prise en charge de la dimension stratégique de la guerre d'agression imposée à notre pays. Une conférence préparée dans la précipitation par "deux Zorro de service" saura-t-elle envisager l'approfondissement de cette dimension?

Beaucoup de compatriotes du Kivu rejetant "ce marché des dupes" estiment que confondre la vitesse avec la précipitation ne peut qu'être préjudiciable pour notre bonheur collectif.

Ce que Mama Sindani ne dit pas (et qu'elle sait) est que "ce marché des dupes" a un double fondement idéologique non évoqué dans les prises de positions sur la Conférence de Goma. Nous y reviendrons.

Pour sa part, la communauté Bembe de la diaspora justifie sont rejet de la Conférence de Goma comme suit: " Le pouvoir de Kinshasa a décidé de mettre fin au terrorisme de Nkundabatware et ses frères par la voie militaire. Or, on sait aujourd'hui par les médias occidentaux interposés (et par Honoré Ngbanda) que nos enfants envoyés au front ont été trahis par leur hiérarchie militaire entraînant ainsi un carnage de 3000 soldats tués sur les 5000 engagés dans les combats à Mushake. Un véritable génocide de nos enfants, remis en holocauste à Nkundabatware. La prétendue guerre totale contre Nkundabatware n'était finalement qu'une manœuvre du pouvoir tendant a envoyé nos enfants à la mort et fournir à Nkundabatware des stocks d'armes et munitions lourdes pour faciliter la conquête du Kivu. Il est en effet étonnant de constater que le pouvoir ait laissé dans ses fonctions de chef d'état major des forces terrestres le Général Amisi Tango Fort, issu du RCD, d'engager aux fronts du Nord-Kivu des soldats tutsi mixés de Nkundabatware pour le combattre! Le pouvoir a, sur ce point encore, trahi la nation."

Donc, cette communauté refuse de coopérer avec un pouvoir des traitres. Elle évoque, en passant, la question de l'infiltration des institutions de la troisième République par "les ennemis du peuple congolais".

Malheureusement, c'est l'Abbé Malu-Malu ayant mis la question du recensement des Congolais(es) entre parenthèse avant la mascarade électorale de 2006 et Vital Kamerhe ayant remis aux calendes grecques la question du moratoire sur la double nationalité au niveau du Parlement qui sont les coordonnateurs de la Conférence de Goma. Voilà qui pousse les Congolais(es) à soutenir la thèse du complot ourdi contre la démocratisation du Congo avec la complicité des Congolais(es) et justifie le rejet de nos compatriotes du Kivu de la conférence de Goma.

Un autre exemple illustre un rejet mitigé de cette conférence par crainte de pratiquer la politique de la chaise vide. En effet; celle-ci, dit-on, ne paye pas. L'Association des Congolaises et des Congolais du Québec (ACQ en sigle) tout en étant en "accord avec les élus du peuple ainsi que plusieurs communautés du Kivu qui se sont prononcées contre la tenue de cette conférence" recommande cependant aux patriotes congolais qui vont y participer de la faire de bonne foi, avec la volonté de rendre service à la nation" et attire leur attention sur certaines mesures essentielles.

Citons-en quelques-unes :

" -Rejeter catégoriquement le modèle Burundo - Rwandais des armées ethniques.

- Réaffirmer la démocratie comme seule voie d'accéder au pouvoir

- Exiger des élus du peuple de défendre sans réserve les intérêts du peuple et de se comporter en homme d'état plutôt qu'en marionnettes au service de forces obscures parallèles.

- Exiger l'arrêt de nominations des criminels à des postes de responsabilités ;

- Exiger la poursuite en justice de toutes personnes responsable des exactions et crimes.

-Mettre immédiatement fin aux pillages des ressources naturelles qui s'exportent via le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda avec la complicité tacite des compatriotes congolais". (Ce texte peut être lu sur le site de Congoforum) De quels moyens de coercition disposerons les participants à la conférence de Goma pour exiger la mise en pratique de ces mesures? L'ACQ ne dit rien là-dessus.

Pour cette Association comme pour bien des Congolais et des Congolaises, "la RDC est agressée depuis bientôt 10 ans par le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda soutenus par la Belgique, les Etats-Unis d'Amérique et la Grande Bretagne sous couvert de différentes rebellions. L'objectif principal de ces agressions est de nous déposséder de nos terres et de nos richesses naturelles".

Les évêques congolais, qui eux, considèrent l'organisation de la Conférence de Goma comme un fait dont les Congolais et les Congolaises doivent tenir compte, pensent qu'après que le pays ait été doté des institutions légitimes, "la Conférence de Goma s'abstiendra de légiférer en lieu et place d'institutions constitutionnelles. Celles-ci à leur tour réserveront aux recommandations de Goma le bénéfice d'urgence".

Ils formulent cette recommandation en pensant aux questions ci-après :
· un réel problème d'intégration des populations : certains habitants au Kivu ne se sentent pas entièrement intégrés à la communauté nationale ;
· des problèmes fonciers : la désappropriation des terres arables au profit des éleveurs, créant ainsi un conflit permanent entre les cultivateurs et les propriétaires des grands domaines pastoraux ;
· un problème de conquête du pouvoir: l'exploitation de la haine et de la division ethniques est devenue une nouvelle idéologie au service de politiciens pour la conquête ou la conservation du pouvoir ;
· une question de gestion et d'accès aux ressources naturelles : tout montre que le contrôle des espaces où il y a des ressources naturelles est une des causes majeures de la guerre au Kivu (Cfr le rapport du Panel des Nations Unies, l'enquête de Human Rights Watch sur l'exploitation de l'or, le rapport Lutundula ou les différentes mises en garde de Institute Rescue Comittee). On se bat là où il y a des richesses que l'on veut exploiter : la guerre devient un paravent pour couvrir le pillage des ressources. On y exploite aujourd'hui le pyroclore, le coltan, l'or, le diamant, la cassitérite… et le pétrole en perspective;
· La conduite de certains hommes politiques congolais, caractérisée par la corruption, l'absence de moralité politique et le manque de dignité est avérée : à cause de l'argent, certains politiciens congolais sont prêts à vendre leur pays. La débâcle au Kivu est la conséquence d'une série de comportements irresponsables et traîtres des Congolais eux-mêmes.
Il faut ajouter à cela que si cette situation perdure, c'est parce que le pays ne dispose pas encore d'une armée à même de protéger ses frontières et sa population".

Le Potentiel de ce lundi 07 janvier abonde à peu près dans le sens de ce constat quand il note à sa Une ce qui suit: " Cependant (au sujet de cette conférence), l'on ne doit pas se leurrer. Les guerres à répétition à partir du Kivu ne sont nullement des faits du hasard. Elles ne résultent surtout pas d'une question sempiternelle d'une rivalité interethnique, moins encore pour instaurer la démocratie en République démocratique du Congo. Si ces causes existent réellement, elles ne servent que de prétextes pour provoquer des « brèches » à un complot qui ne vise qu' à déstabiliser la Rdc, à l'affaiblir davantage pour provoquer sa balkanisation".

II. Des secrets de polichinelle

Le temps que la guerre d'agression et de prédation a mis au Congo et le nombre de morts inutile qu'elle a entraîné a fini par mettre plusieurs Congolais(es) d'accord autour de certains secrets de polichinelle: la guerre est une tactique commerciale soutenue par les multinationales, l'absence de dignité et de moralité politique conduit certains congolais à troquer leur pays contre l'argent, l'instrumentalisation de la haine et de la division ethnique pour l'accès aux postes de responsabilité politique vus comme "une mangeoire" est une des stratégies les plus utilisées par les politiciens congolais véreux, il y a des pays comme la Belgique, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui soutiennent les supplétifs de l'ordre néolibéral en Afrique des Grands-Lacs, depuis 1994 (et même un peu plus tôt, nos institutions politiques et militaires sont infiltrés par "les ennemis de nos populations", etc.

Sur ces questions précises, il y a des occidentaux qui partagent le même point de vue. Une lecture posée de ces trois livres (Géopolitique du Congo RDC , L'enjeu congolais et Les nouveaux prédateurs) est à conseiller.

Et le 02 janvier, Colette Braeckman publiait un article commentant un film (Du sang sur mon portable) qui a fait sursauter plus d'un compatriote. Elle notait ceci: "La violence qui ravage les deux Kivus et qui vient de jeter 8000.000 déplacés sur les routes ne nuit pas à tout le monde: elle permet aux trafiquants de ne pas payer les taxes et d'embarquer leurs sacs dans les aéroports de brousse, sous la protection des divers groupes rebelles, Hutus rwandais ou soldats (tutsi) de Laurent Nkunda. Ces derniers, en échange, reçoivent de l'argent ou des armes, avec au bout du compte, la même finalité: leur permettre de se battre pour conserver le contrôle du territoire."

Ce film du journaliste Patrick Forestier, "déjà diffusé sur Canal plus (….), attend toujours d'être programmé en Belgique. L'attente risque d'être longue, car l'enquête démontre que notre pays est l'une des plaques tournantes des trafics de minerais en provenance du Kivu…Voilà qui explique peut-être la curieuse mansuétude dont bénéficie Nkunda, et les liens qui attachent à la Belgique les rebelles hutus, dont les chefs ont pris soin d'envoyer femmes et enfants dans l'ancienne métropole."

Quand on connaît ces secrets de polichinelle et que l'on sait que les multinationales sont tellement riches qu'ils disposent des fonds dépassant de loin les budgets de certains pays du monde occidental, on ne voit pas facilement par quel miracle une Conférence convoquée pour une rencontre inter-congolaise (?) avec la participation des pays voisins et de quelques "petites mains du capital" peut apporter la paix au Nord et au Sud-Kivu en particulier et au Congo en général. Les véritables agresseurs du Congo ne seront pas à la table de négociation…

Quand nos pères évêques demandent que les recommandations de Goma soient traitées dans l'urgence par les institutions de la troisième République, ils donnent l'impression d'oublier leurs propres critiques à l'endroit des politiciens congolais: leur absence de dignité et de moralité est avérée; corruptibles, ils sont disposés à vendre leur pays pour avoir de l'argent.

Et l'expérience récente de notre pays a montré que tous les coups tordus portés contre notre peuple ont été orchestrés par ces institutions envahies par "les laudateurs" de l'ordre néolibéral. Les rapports et les enquêtes que nos évêques évoquent (le rapport du panel de l'ONU, le rapport Lutundula, l'enquête de Human Rights Watch sur l'exploitation de l'or, etc.) n'ont jamais été traités en profondeur au sein de ces institutions. Par quelle magie pourraient-elles, du coup, après Goma, se transformer en caisse de résonnance pour les intérêts de nos populations? Où ont-elles mis le dernier rapport de la Commission sur la revisitation des contrats léonins? Croire aujourd'hui qu'il y a lieu de sortir des crises multiformes que connaît notre pays par les institutions issues de la mascarade électorale de 2006 est un leurre: il nous faut un autre ordre politique porté par des populations acquises au processus de ce que le philosophe et théologien congolais, Godefroid Kä Mana, appelle "déformatage-réformatage de notre imaginaire".

Ce processus révolutionnaire assumé par les ascètes du provisoire ayant fait du bonheur collectif congolais leur raison de vivre et/ou de mourir est l'une de meilleures voies à emprunter pour un nouvel ordre politique au Congo. Colmater les brèches n'aboutira à rien de consistant. Ces ascètes du provisoire devront aussi être avertis sur les idéologies qui guident l'agression récurrente de nos populations.

III. Les BMW et un mythe biblique

Au début de la guerre de prédation contre notre pays, une idéologie fut propagée dans les milieux décidés à le conquérir. Pour justifier cette guerre de conquête, il se racontait que les Congolais sont "les adorateurs" de la bière (B), de l'argent (Money) et des femmes (Woman). Nos politicailleurs véreux et nos autres compatriotes fanatiques du per diem confirment cette thèse.

Mais à la lecture des messages de rejet de la Conférence de Goma et vu le travail que les résistants congolais abattent au quotidien pour tirer leur pays des griffes des dinosaures de tous bords, croire en ce "mythe" pour la majorité d'entre nous ne se justifie pas. Même s'il faut avouer que notre éveil-réveil collectif semble être tardif. Nous avons dansé les "saka yonsa" pendant assez longtemps. Cela étant, mieux vaut tard que jamais! Encore faudrait-il que nous prenions le temps d'emboîter majoritairement le pas à nos compatriotes ayant créé des clubs de réflexion et des mouvements sociaux d'actions pour le salut de notre beau et grand pays!

En plus de la "BMW", il y a les fausses prophéties reconverties en idéologie de lutte par les tutsis appartenant à l'Institut Havila. "Selon eux, la guerre actuelle de conquête tutsie dans la région de Grands-Lacs 'Havila" et surtout au Congo est un fait prophétique, une volonté de Dieu d'Israël. Et pour preuve disent-ils le livre biblique d'Esaïe, chapitre 18, verset 1-2 est leur appui. Ici on parle des peuples de grande taille (les tutsis) qui hériteraient le pays situé entre deux fleuves au Sud de l'Ethiopie (le Congo)."

Recourir à la Bible, au nom de Dieu, exclut souvent tout débat et toute remise en question des thèses soutenues. Les idéologues voulant fonder leur conquête "divinement" le font au détriment de quiconque s'oppose à la prophétie idéologisée. Celle-ci bannit l'histoire et tout esprit critique et nourrit le fanatisme.

Néanmoins, l'histoire passée et présente du monde prouve que toutes les guerres faites "au nom de Dieu" ou de "sa parole" sortie du contexte et édulcorée n'ont été que du vol camouflé et/ou de la folie raciste et ségrégationniste.

Dans ce contexte idéologique nocif au bonheur collectif congolais, la création des centres d'études, l'invention, dans nos universités, des chaires pour la sauvegarde du Congo, la mise sur pied et/ou la multiplication des think tanks et des mouvements sociaux congolais demeurent des urgences. Nous avons besoin d'un "déformatage-reformatage" dans des interstices où nos diversités (plus de 200 ethnies) peuvent être mises au service du bonheur collectif partagé.

J.-P. Mbelu