Ce vendredi 28 octobre à minuit, la campagne électorale a officiellement été lancée en RDC. En jeu: la magistrature suprême et 500 sièges de députés nationaux.
Dans un mois, le 28 novembre – date fixée par la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) pour l'organisation de ce double scrutin – quelques 32 millions d'électeurs seront appelés à voter dans l'un des 63.000 bureaux de vote ouverts aux 4 coins d'un pays grand comme l'Europe Occidentale.
Reste donc 4 semaines aux candidats pour convaincre et autant de temps à la CENI pour relever l'ensemble des défis, principalement logistiques, liés à l'organisation de ces élections.
Quatre semaines, est-ce suffisant?
Auront-elles lieu? Le calendrier électoral sera-t-il respecté? Si oui, dans quelles conditions ces élections seront-elles organisées? Un report des élections législatives (plus complexes et plus lourdes d'un point de vue logistique) est-il probable, serait-il même souhaitable? A Bukavu, comme dans l'ensemble de la république, ces questions sont au coeur d'âpres débats. Les spéculations vont bon train.
La principale inquiétude concerne la matériel électoral et son acheminement, dans les délais, dans l'ensemble des sites et bureaux de vote.
Selon un agent de la section électorale de la MONUSCO: 'environ 60% du matériel est déjà arrivé dans chacun des 28 sites d'entreposage secondaire que compte le Sud Kivu'. Mais d'ajouter: 'cette proportion ne tient compte que des isoloirs et des kits d'équipement et de papeterie, pas encore des urnes et des bulletins de vote que nous attendons toujours'.
Or, c'est bien là que le bât blesse. L'impression des bulletins pour l'élection présidentielle est en cours et devrait s'achever rapidement dès lors qu'il s'agit d'un bulletin relativement simple (11 candidats) et unique pour l'ensemble du pays.
Pour les élections législatives, cela s'annonce par contre bien plus compliqué: 18.000 candidats, un bulletin de vote différent pour chacune des 169 circonscriptions et des listes pléthoriques de candidats dans certaines d'entre elles. 'Le Congo détient et conserve le record du bulletin le plus long avec un bulletin de 58 pages dans l'une des circonscriptions de Kinshasa', explique le porte parole de la CENI à Bukavu.
Alors qu'à ce stade, la CENI prépare encore les maquettes avec ses partenaires sud-africains, d'aucuns doutent que ces bulletins puissent être imprimés et déployés à temps.
A la CENI, on se montre toutefois confiant. Son président, la Pasteur Ngoy Mulunda l'affirmait encore récemment: 'pas de report ni de découplage des élections, elles auront lieu à la date prévue'. Un optimisme toutefois légèrement nuancé par la section électorale de la MONSCO où l'on ajoute : 'c'est pas gagné mais c'est encore faisable'.
315.000 agents électoraux doivent encore être formés
Chaque bureau de vote comptera 5 agents en charge de l'organisation et de la supervision du vote, puis du dépouillement une fois le bureau fermé. Autant d'agents qui doivent encore être formés sur des procédures électorales assez complexes: vérification des listes et des cartes électorales, enregistrement, prévention des cas de tricheries, secret du vote, remplissage des PV de dépouillement, etc.
Au Sud Kivu, ce sont plus de 15.000 agents électoraux qui doivent être formés. Une petite équipe de formateurs en provenance de Kinshasa est arrivée récemment à Bukavu, une 1e formation de 188 formateurs provinciaux est prévue ce jeudi 3 novembre. Ceux-ci formeront alors 958 chefs de centres de vote qui formeront à leur tour, entre le 22 et 25 novembre (planning de la CENI), les 5 agents électoraux affectés à chacun des 3707 bureaux de vote de la province.
A la CENI on parle de formation de formateurs (de formateurs), d'un processus en cascade. Et son porte-parole d'expliquer : 'ces agents électoraux sont si nombreux, tellement dispersés, 10 des 28 sites de formation ne sont accessibles qu'à pied… c'est la seule et la meilleure manière de procéder'.
Seule et récurrente question: est-ce encore faisable dans un délais aussi court? Le coordinateur d'une ONG de la place répond: 'oui, ces formations auront lieu, mais de quel type de formations parle-t-on, comment former correctement un si grand nombre de gens en si peu de temps?'.
La sensibilisation: 'le parent pauvre de ces élections'
Qu'est-ce qu'un vote utile, qu'est-ce qu'un scrutin de listes, pourquoi et où voter, comment compléter son bulletin vote : autant de questions et de messages que plusieurs semaines avant les élections de 2006, la société civile – largement mobilisée – avait déjà colporté jusque dans les villages les plus reculés de la RDC. Il s'agissait alors de préparer une population appelée à élire ses dirigeants pour la première fois en plus de 40 ans.
Cinq ans plus, alors que les élection du 28 novembre approchent à grand pas, force est de constater que rien de similaire n'a encore été entrepris, loin de là. 'En 2006, il y avait une très fort attention internationale sur les élections, les bailleurs se bousculaient, les financements étaient là et la société civile a fait un très bon travail', explique un représentant du bureau de coordination de la société civile du Sud Kivu. 'Aujourd'hui, il n'y pas de moyen ou très peu, alors on fait avec les moyens du bord, c'est la débrouille'.
Au niveau de la CENI, le constat est le même: 'le budget des élections a explosé', raconte son porte parole à Bukavu. 'Les fournisseurs travaillent 24h/24h pour tenir les délais, ça coute plus cher. Des moyens de transport supplémentaires sont en train d'être mobilisés, cela ne permet pas de dégager suffisamment de fonds pour la sensibilisation'.
Et de fait, la CENI prévoit de déployer entre 2 et 4 agents relais de sensibilisation dans chacun des 8 territoires de la province, parmi lesquels Shabunda, un territoire à lui seul plus étendu que le Rwanda…
Cette faible préparation de la population pourrait poser de sérieux problèmes. En 2006, malgré l'effort consenti, plus de 25.000 bulletins de vote avaient du être invalidés au Sud Kivu faute d'avoir été correctement remplis. Seront-ils encore plus nombreux en 2011? Ce n'est pas à exclure, d'autant plus que les listes de la province comptent près 400.000 nouveaux électeurs, lesquels s'apprêtent à leur tour à voter pour la 1e fois.
Une publication 'tardive' des listes d'électeurs
Selon la loi électorale récemment promulguée, les listes de candidats et d'électeurs doivent être publiées au moins un mois avant le lancement de la campagne, le temps pour la CENI de recevoir et de traiter les éventuelles plaintes que peuvent déposer les partis, les candidats et les électeurs quant au contenu de ces listes.
Si les listes de candidats ont finalement été publiées, certes avec 3 semaines de retard, celles des électeurs ne l'ont été jusqu'à présent que dans les circonscriptions de Kinshasa, ce qui à Bukavu fait l'objet de nouvelles préoccupations. 'Imaginez qu'un électeur, pour une raison ou une autre, ne se retrouve pas sur les listes, quel recourt lui reste-t-il?, s'interroge un leader de la société civile. 'Dans un délai aussi court, la CENI ne pourra tout simplement plus traiter ce type de cas et les corriger. Quid alors de ces électeurs?'.
Acheminement du matériel électoral et des bulletins, formation des agents électoraux, sensibilisation et publication des listes d'électeurs, les défis sont encore nombreux. Le jour du lancement de la campagne, Etienne Tshisekedi, leader de l'UDPS, l'un des principaux partis d'opposition, s'est rétracté en annonçant qu'il ne s'opposerait pas à un report des élections législatives. Est-ce dire qu'un report des élections ou un découplage des présidentielles et des législatives est probable?
La réponse dans les prochaines semaines.