L'expulsion de Thierry Michel: une balle dans le pied
par Colette Braeckman
9 juillet 2012
C'est ce qui s'appelle se tirer une balle dans le pied… Alors que
Kinshasa a grand besoin du soutien de la communauté internationale
(Union européenne, francophonie, Belgique, France) face à la situation
qui se développe dans l'Est, des raisons « administratives » dont nul
n'est dupe ont été invoquées pour remettre le cinéaste Thierry Michel
dans l'avion qui reprenait son vol pour la Belgique ! Son « permis de
résidence » n'aurait soudain plus été jugé valable. En réalité, il est
clair que le pouvoir ne souhaitait pas le voir présenter son film sur
le procès Chebeya, à une semaine de la réouverture du procès et que le
titre « un crime d'Etat ? » a pu être jugé provocateur. Cette
expulsion qui ne dit pas son nom ne peut qu'être regrettée et
condamnée, au nom de la liberté de la presse, de la liberté d'opinion,
du droit que peuvent avoir les Congolais de visionner à leur tour un
film qui les concerne et qui a déjà fait le tour de toutes les salles
européennes. De plus, ce film ne représente même pas une surprise :
n'a-t-on pas autorisé Thierry Michel, au vu et au su de tous, à filmer
toutes les séances du tribunal militaire, exercice qui aurait été
impensable dans bien des pays ?
Cette mesure présentée comme « administrative » s'inscrit aussi dans
un contexte de répression croissante à l'égard de la presse, elle ne
peut que raviver les inquiétudes et, finalement, elle s'avèrera contre
productive. Car, dans le flot des protestations, qui donc relèvera
que, dans aucun pays de la région, un tel exercice n'aurait été
possible : filmer un tel procès, si chargé politiquement, aurait été
imaginable. Quant à diffuser le film, dans la plupart des pays
africains, mieux vaut ne pas y penser !
En outre, et c'est ce qui chagrine le plus, l'écho qui sera donné à
cette décision regrettable risque d'éclipser des enjeux bien plus
importants et de paralyser de bien nécessaires solidarités: en effet,
il est évident que le Congo, une fois de plus, fait face à une
tentative de déstabilisation de l'Est du pays, à un vaste mouvement
militaire qualifié de mutinerie, mais qui vise en fait à permettre à
des criminels de haut vol d'échapper à la justice et à des circuits
mafieux transfrontaliers de se perpétuer impunément.
Les protestataires qui, à juste titre, soutiennent Thierry Michel,
sont aussi ceux qui, voici quelques semaines, avaient exercé de très
fortes pressions sur Kinshasa pour que le général Bosco Ntaganda soit
arrêté. Les menaces ont incité ce dernier à prendre peur, à s'armer, à
mobiliser ses partisans, jusqu'à ce que, finalement, par le jeu des
réactions en chaîne, la paix très fragile qui régnait au Kivu et qui
reposait sur une sorte de modus vivendi entre Kigali et Kinshasa
finisse par basculer vers une guerre qui ne dit pas son nom, mais qui
a déjà jeté 200.000 déplacés sur les routes !
Au Congo comme ailleurs les vieux proverbes se vérifient : le mieux
peut être l'ennemi du bien, l'exigence de justice, posée en absolu,
peut mener à la guerre et, surtout, les conseilleurs ne sont pas les
payeurs…