Mercredi, le 02 Décembre 2009 |
La dignité humaine a perdu tout son sens en RD-Congo. Sinon la mort massive qui est survenue parmi des détenus au Camp Lufungula dans la nuit du jeudi 26 au vendredi 27 novembre aurait déjà prêté à des graves conséquences. Pire, les autorités de la Police, avec en tête le Général Jean de Dieu Oleko, le patron de l'IPKIN -Inspection provinciale de Kinshasa-cherchent même à banaliser les faits. A gauche la mère du défunt Tati Buleri en compagnie de sa soeur au camp Kokolo . Ph. «CONGONEWS». La presse, de son côté, s'est tue dans toutes les langues. Pas une ligne, ni un mot, comme si ceux qui sont morts n'avaient aucun prix. Seule la radio onusienne a contrevenu à cette sorte de loi de l'omerta. Certains ex-pliquent qu'il y a eu censure. Le fameux Journal en lingala facile de Zacharie Bababaswe en a fait l'expérience. Ordre a été donné de ne pas dif-fuser les images tournées par son caméraman sur place au Camp Lufungula, a rapporté un reporter de ce programme télévisé très prisé dans le grand public à Kinshasa. Sur les traces du caméraman du JT made in Bababaswe, la rédaction de «CONGONEWS» s'est lancée avec sa photo numérique. Elle a ramené deux photos très éloquentes, celle d'un rescapé du nom de Jean-Marie Kikangala, domi-cilié sur l'avenue Dodoma, dans la commune de Ling-wala et celle de la mère d'une victime, un jeune homme de 36 ans nommé Tati Buleri. Les deux témoignent. Ils prennent tous les deux le contre-pied de la thèse of-fcielle selon laquelle il y a eu tentative d'évasion à la suite d'une interruption du courant électrique. Kikangala a vu ses codétenus mourir l'un après l'autre. Il établit un bilan de sept morts dont quatre sur place et trois après des soins à l'hôpital général. «Tous sont morts d'étouffement», a af-frmé le rescapé. Il explique que le cachot était surpeuplé. «Il y avait plus d'une centaine de détenus dans un cachot d'à peine sept mètres sur trois», rapporte Kikangala. Il y a donc eu bavure et bavure grave. Bavure dans le chef du commandant de la garde qui a continué à peupler la cellule sans regarder à sa capacité d'accueil. Bavure encore de la part du même préposé pour avoir écroué des détenus sans les entendre sur procès-verbal. Une autre bavure dans le chef des autorités de la police censées être les premiers à assumer toute responsabilité . Sous d'autres cieux, pour moins que cette tragédie humaine, des re-sponsables en répondent personnellement non sans avoir, au préalable, rendu le tablier. Question de ne pas infuencer le cours de l'enquête. A Jean de Dieu Oleko d'aviser plutôt que de chercher à noyer le poisson avec des explications alambiquées dans les médias. Le colonel Kanyama, commandant du district de Lukunga, est cité comme le principal responsable du surpeuplement du cachot. L'homme est connu pour ses méthodes sauvages de tous les habitués du Stade des Martyrs. L'ordre public, pour ce gaillard de près de 2m, est synonyme de fouet, de brutalité sur les civils. C'est quasi officiel. La banalisa-tion à laquelle l'un et l'autre se livrent depuis la nuit du drame choque notamment les familles des victimes. Il aurait fallu peut-être des cen-taines de morts pour interpel-ler les consciences. Ah! Non. Un mort, deux morts, il s'agit d'une vie humaine. Quand celle-ci vient être ôtée par la faute d'un autre, rien à faire, ce dernier ne peut échapper à la demande d'explication de la société avec la possibilité d'une sanction s'il est recon-nu coupable. Sans préjuger de l'issue de l'enquête, il y a bel et bien des coupables ici, ne fut-ce que pour homicide involontaire. Ça c'est aussi la «tolérance zéro». Ce n'est pas seulement d'envoyer à Makala des mandataires convaincus de détourne-ment mais aussi et surtout de mettre chacun devant ses responsabilité s. Quant aux responsabilité s de l'Etat, elles sont plus lourdes. Les familles des victimes prom-ettent de lui intenter une action en dédommagement. Le temps de faire le deuil, les uns et les autres vont se constituer en collectif. «Nous ne laisserons pas cet acte im-puni», a déclaré en sanglots Mme Meti Lenghe, la mère de feu Buleri dont les funérailles seront organisées le 4 décem-bre au Camp Kokolo, chez son père, …un colonel de la police. Selon les témoignages recoupées de Mme Lenghe et de Kikangala, il y a une «ra-fe» menée par des hommes de Kanyama dans la nuit du 25 au 26 novembre. Buleri qui sortait d'une intervention chirurgicale a été pris, à 19 heures, dans une famille amie à Lingwala, sur l'avenue Bukama n° 272. Cela arrive souvent que la police arrête indistinctement les jeunes gens quand elle opère contre les gangs des « kulunas». Et la libération est monnayée dans six cas sur dix. Kikangala a été interpellé presque dans les mêmes conditions alors qu'il prenait de l'air devant chez lui. Il affrme qu'il a été jeté au cachot sans audition. Sur place, il a trouvé des dizaines de gens détenus depuis plu-sieurs jours, donc en déten-tion illégale. Toute la journée du jeudi, d'autres sont venus en grappe gonfer le nombre des détenus. Avant la fn de la journée, il n'y avait plus place pour poser un pied et la seule position à tenir est la station debout. Ce qui devait arriver arriva : l'air se vide peu à peu dans cette cellule aérée par quelques claustras hauts perchés que seuls les plus musclés peuvent atteindre à force de bras. C'est à minuit que tout bascule. Privés com-plètement d'air, les détenus se mettent à tambouriner sur la porte. La garde fait la sourde oreille jusqu'à trois heures du matin quand le premier détenu s'effondre. Juste pour lui le temps de tirer le corps inani-mé, il refermera la porte sans se soucier de toutes ces vies humaines soumises à des conditions proches des camps de concentrations nazies. Un autre qui s'écroule. Encore un autre. La mère de Buleri ne sait pas à quelle heure son fls s'est écroulé. Une chose est sûre: encore en convalescence, son or-ganisme a cédé très vite. «Il faudra que l'on me montre d'abord le PV d'audition de mon fils», pleure épouse d'officier de police qui en sait un bout sur les usages en la matière. Le drame ne s'est arrêté qu'à six heures du matin lorsque la porte du cachot s'est ouverte sur la silhouette impressionnante du colonel Kanyama. Sur place, quatre décès sont constatés. Quatre autres détenus dans le coma ont été évacués pour des soins. Sur ces quatre, Kikangala affrme qu'il n'y a qu'un seul qui ait survécu, son ami Mongali. Kikangala rapporte que le colonel Kanyama a libéré, séance tenante, tous les détenus arrêtés lors de la «rafe» et écroués sans avoir été auditionnés. Maquillage des faits.(Lire Interview de Jean-Marie Kikangala, un des rescapés à la page 3) ERIC MASIMO DUTI Le témoignage d'un rescapé de Lufungula De la tragédie du camp Lufungula, Jean-Marie Kikangala a échappé. Il est sorti sain et sauf de cet enfer proche du supplice des juifs dans les camps de concentration nazis. Il parle de cette tragédie dans une interview exclusive à «CONGONEWS». Jean-Marie Kikangala, un rescapé du camp Lufungula . Ph. «CONGONEWS». Qu'est ce qui s'est passé exactement dans la nuit du jeudi à vendredi la où vous étiez gardé comme prisonnier ? Ce qui s'est passé c'est un événement. Cette nuit là, nous étions dans la pièce où on garde des prisonniers au Camp Lufungula. Cette pièce est trop petite, mais nous étions près d'une cen-taines de personnes. Plus grave dans cette geôle, l'eau n'entre pas. C'était pratiquement vers quelle heure ? Ca s'est passé exactement vers 2 heures du matin. Il y avait une odeur suffocante, pas moyen de respirer, les gens se sont mis à demand-er de l'eau auprès du chef de poste. Nos supplications n'ont pas été exaucées par le chef de poste. Et c'est fnalement vers 3 heures du matin que les gens ont com-mencé à tomber, le chef de poste a ouvert la porte pour retirer le corps de celui qui venait de tomber et après il a refermé la porte. Le même scénario s'est produit trois fois après. Donc, il y a eu quatre morts ? Oui, parce que juste après avoir vu quatre personnes tombées et quatre autre qui ont perdu connaissance dont Mongali, un des prison-niers est allé s'est réveillé à l'hôpital le lendemain, les au-tres prisonniers se sont mis à forcer la porte mais, c'était une peine perdue. C'est vers six heures, que nous avons vu le Colonel Kanyama venir ouvrir la porte du cachot. Qu'est ce qu'il avait dit ? Il nous a dit tout simplement que je vous laisse libre. Celui qui a été arrêté au cours du ratissage comme nous sera relâché mais, celui qui a un dossier ici doit être envoyé au Parquet. Comme l'a affirmé une certaine opinion, le mur ne s'est pas écroulé ? Le mur n'a pas cédé. C'est suite à l'étouffement et par manque de ration que les prisonniers ont succombé comme la pièce était surpeuplée. Vous parlez de manque de ration, vous n'avez pas droit de manger, ni de boire une fois que vous êtes dedans ? Cela arrive parce que tous ceux sont retenus comme prisonniers là bas n'ont pas droit aux visites. Un membre de votre famille peut venir avec quelque chose à manger, il n'aura pas droit d'y entrer. Si par chance il accède dans l'enceinte du camp et que le chef de poste lui accorde un petit moment pour vous voir et vous donner à manger et à boire, il doit débourser quelques billets de banque auprès du chef de poste pour que vous puissiez manger. Revenons à l'événement. Il a fallu que le colonel Kanyama débarque à six heures du matin pour qu'il vous ordonne de vider le lieu ? Lorsque les gens sont tom-bés avant que le commandant District de la Lukunga n'arrive, ceux qui tombaient K.O étaient évacués de la pièce pour être étalé sur la pelouse. Une fois qu'ils prenaient un peu de l'air, ils étaient de nouveau coffrés. Comment, vous vous êtes retrouvés dans ce cachot ? Moi, j'étais assis chez nous, ici sur avenue Dodoma dans la commune de Lingwala, lorsque l'équipe de Kanyama qui menait une opération de ratissage passait comme d'habitude dans la nuit du mercredi 25 novembre, m'a pris pour une cause que j'ignore, avant de m'amener au Sous Commissariat de Mushie, à l'ancienne maison communale. C'est à partir de là que le major qui est en tête de ce Commissariat a fait un billet d'écrou collectif. Ce billet d'écrou collectif était établi pour combien de personnes ? C'était pour 13 personnes arrêtés cette nuit là. Les treize ont été directe-ment envoyés au cachot dans la même nuit ? Non, nous avons quitté le Sous Ciat à huit heures et directement sans même être entendus, nous avons été jetés en prison. Toute cette journée est passée sans qu'on soit entendu. On ne faisait que nous entasser. Est-ce que la raison de votre arrestation vous a été signifée avant d'être envoyé au cachot ? Moi pers onnellem ent jusqu'aujourd'hui je ne sais même pas la raison de mon arrestation. Même le major qui nous a auditionné qui me connaît bien comme ajusteur parce qu'il arrive de fois qu'il vienne acheter des portes dans mon atelier n'a pas voulu écouter mes explications et le billet d'écrou collectif a été vite établi. Certaines personnes parlent de huit morts, d'autres encore quatre morts. Vous, qui étiez dans le cachot. Vous avez vu combien de personnes mourir ? Moi, j'ai vu quatre personnes mortes et quatre personnes qui avaient perdu connais-sance, dont mon petit Mon-gali qui vient de sortir de l'hôpital et il est convalescent chez sa mère. Comment il se porte pour le moment ? D'après le dernier coup de fl qu'il m'a fait passer, il se porte un peu bien. D'ici là, il va reprendre son boulot ici au marché Lufungula comme il m'a fait comprendre au téléphone. Pour vous, est ce que les trois personnes sont également sorties du comma ? C'est difficile pour moi d'affrmer. Je sais seulement que parmi les quatre, c'est mon petit Mongali qui est allé se réveiller à l'hôpital du Camp. Lorsqu'il arrive que des prisonniers se rendent aux toilettes. Comment vous faites ? Dans ce cachot lorsqu'un prisonnier fait ses besoins dans le sachet, il jette dans une sorte d'urinoir qui est juste en face des prisonniers mais laissez moi vous dire qu'il y a aussi des gens en-tassées à coté de l'urinoir en question. Vous n'avez pas droit de le faire ailleurs, même si vous demandez l'autorisation du chef de poste ? Le chef de poste ne fait pas sortir des gens pour aller satisfaire leurs besoins. Là s'il faut faire entrer de l'eau, c'est dans les bouteilles d'eau vive qu'on vous donne de l'eau. Combien de bouteilles ? Vous vous imaginez dans une pièce qui contient plus d'une centaine de personnes, on vous donne deux à trois bouteilles d'eau vive alors qu'il fait extrêmement chaud. Pour parler de mon cas, depuis que j'ai été jeté en prison le jeudi jusqu'au ven-dredi, je n'avais même pas pris une goutte d'eau, ni mangé. Qu'est ce que vous for-mulez comme recomman-dations aux activistes de Droits de l'homme et à l'Etat congolais ? Pour répondre à cette question, je commence d'abord par dire que notre Police doit encore beaucoup apprendre. Elle n'exécute pas correcte-ment son travail. Il n' y a pas aussi un suivi de la part des autorités. ERIC MASIMO DUTI |
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