Arrivée lundi 10 août à Kinshasa, dans le cadre d'une visite de 48 heures, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Rodham Clinton, a eu, dans l'après-midi, un échange avec des étudiants de l'Université de Kinshasa (Unikin) devant lesquels elle a dénoncé les violences faites aux femmes en demandant au gouvernement congolais de ne pas laisser impunis les individus suspectés de participation aux atrocités qui ont lieu à l'Est du pays.
Fidèle à une certaine tradition américaine, la patronne de la diplomatie américaine a entamé son séjour congolais en allant à la rencontre de la société civile. La vraie. Et ce par une rencontre-débat avec une centaine d'étudiants de l'Unikin. Le Collège Saint Joseph (Elikya), situé dans la commune de la Gombe, a servi de cadre à cette manifestation. Selon la radio Okapi, le basketteur Mutombo Dikembe était présent aux côtés d'«Hillary».
Durant une heure, la «secretary of State» a répondu à une dizaine de questions portant essentiellement sur la politique. Est-elle venue au Congo par pitié ? C'est une des questions posées par un étudiant. Hillary Clinton a fait remarquer dans sa réponse que la RD Congo se trouve «à un moment crucial de son histoire». Et il revient aux Congolais «de faire de bons choix». Elle a souligné la disponibilité des Etats-Unis à établir un «partenariat» pour «construire l'espoir» au Congo-Kinshasa «et d'écrire cette nouvelle page d'histoire avec le peuple congolais».
Hillary a exhorté les dirigeants congolais «à suivre l'exemple des pays riches en minerais qui se sont développés, comme par exemple le Botswana en Afrique australe». Une allusion subtile aux rapports rédigés par des Organisations non gouvernementales sur la «guerre économique» qui prévaut dans la partie orientale du Congo. Une guerre qui a pour origine l'exploitation illégale des minerais rares.
Causes profondes du conflit à l'Est
Hillary Clinton devait faire un «saut» à Goma afin de rencontrer Joseph Kabila. Elle devrait saisir cette occasion pour demander au gouvernement congolais «de s'attaquer aux causes profondes» du conflit dans l'est de la RD Congo afin de faire cesser l'utilisation des femmes comme «armes de guerre». «Je vais, a-t-elle déclaré, plaider avec énergie non seulement pour qu'on vienne en aide à ceux qui subissent des abus et de mauvais traitements (...), et notamment aux femmes que l'on transforme par le viol en véritables armes de guerre, (...) mais aussi pour qu'on cherche à mettre fin à ce conflit". Ajoutant : "Je vais à Goma pour condamner les violences indicibles faites aux femmes et aux jeunes filles dans l'est du Congo". "Il s'agit du pire exemple d'inhumanité faite par les hommes aux femmes."
La chef de la diplomatie américaine semble consciente du fait que l'instabilité qui prévaut depuis plus d'une décennie dans les provinces orientales du Congo trouve une partie d'explication dans l'exploitation illégale des minerais par des groupes armés. Ceux-ci sont manipulés non seulement par des Etats voisins mais aussi par des autorités congolaises. Civiles et militaires. Questions : Quelles sont les causes profondes du conflit qui secoue toute la partie orientale de la RD Congo ? Quid des groupes armés ? Qui les finance et les arme ? Il faut espérer que la secrétaire d'Etat américaine et Joseph Kabila auront le courage de jouer carte sur table en appelant le chat par son nom.
Au commencement était la destruction en vol du «Falcon 50» transportant le président rwandais Juvénal Habyarimana. C'était le 6 avril 1994. Cet acte terroriste non élucidé à ce jour a été suivi par le génocide qui a frappé essentiellement les membres de la communauté tutsie. Plus d'un million de Hutus ont trouvé refuge dans les provinces du Kivu où étaient déjà établie les réfugiés tutsis des événements de 1959. Le conflit Hutu-Tutsi a été ainsi exporté sur le sol congolais.
Les groupes armés
En septembre 1996, l'armée patriotique rwandaise pilonne les camps des réfugiés hutus. Au motif que ceux-ci se préparaient à envahir le Rwanda. C'est le déclenchement de la guerre des Tutsis zaïrois dits «Banyamulenge». Cette «rébellion» a deux agendas. Le premier consiste à «éloigner», le plus loin des frontières rwandaises, les Interahamwe et autres éléments des ex-Forces armées rwandaises. Le second s'est traduit par la naissance mi- octobre de la même année, à Kigali, de l'AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo). Objectif : renverser le régime de Mobutu grâce à l'appui notamment des armées angolaise, ougandaise et rwandaise. L'Amérique était dirigée à l'époque par un certain Bill Clinton.
En août 1998, LD Kabila, porté au pouvoir une année auparavant, rompt avec ses anciens parrains rwandais et ougandais. Une nouvelle «rébellion congolaise» voit le jour… à Kigali. Sa dénomination : Rassemblement congolais pour la démocratie RCD. Plusieurs groupes armés dits «patriotiques» vont s'essaimer dans les provinces du Kivu dans la mouvance «Mai Maï».
En avril 2004, des experts des Nations Unies ont publié un rapport stigmatisant le rôle du Rwanda et de l'Ouganda dans le pillage des ressources naturelles en RD Congo autant que dans l'instabilité qui règne à l'Est. Une soixantaine de personnalités congolaises et étrangères ont été nommément citées. Ce rapport est resté sans suite.
Dans un rapport publié en juin 2009, l'Ong congolaise CEADHO (Centre de l'Education, animation et défense des droits de l'Homme), basée à Bujumbura, a énuméré une dizaine de groupes armés dans les deux provinces du Kivu. A savoir notamment : FDLR, Maï Maï Byamungu, FRF-Bisogo, Groupe Mulumba, Zabuloni, Shikito, Ntamushobora, Yakutumba , Twirasaneo. On regrettera qu'aucune indication n'ait été donnée sur le mode de financement de ces guérillas autant que leur approvisionnement en logistique.
«Intérêt humanitaire»
Avant de fumer le calumet de la paix avec son homologue rwandais en janvier dernier à travers l'opération conjointe «Umoja wetu», Joseph Kabila accusait quasi explicitement le voisin rwandais. «A vous tous, femmes, hommes et enfants du Kivu et de la Province orientale qui avez été forcés d'abandonner vos maisons et vos villages à cause de la guerre qui nous est imposée», déclarait-il pas plus tard que le 15 décembre 2008 lors de son discours devant les deux Chambres réunies en Congrès.
Dans une interview accordée au mensuel «Grands Lacs Magazine», paraissant à Londres, édition datée juin 2005, «Joseph» ne disait pas autre chose : «Aujourd'hui, l'ensemble du territoire a été totalement pacifié et sécurisé, et il ne reste qu'à régler le problème de la dissidence survenue au Nord Kivu (Ndlr :le CNDP de Laurent Nkunda) soutenue par le Rwanda.» Et d'ajouter : «(…). Le Rwanda est un pays qui ne respecte pas ses engagements ni la parole donnée. Nous avons signé depuis 2002 plusieurs accords avec le Rwanda, notamment à Lusaka, à Pretoria, à Washington et tout récemment à Kigali et à Dar-es-salam. A chaque fois, il les a foulés aux pieds.»
Reste à espérer que la secrétaire d'Etat américaine réalisera au terme de ce voyage que les «causes profondes» de l'instabilité qui règne dans la partie orientale du Congo sont à rechercher au sommet de l'Etat non seulement à Kinshasa mais aussi à Kigali et sans doute à Kampala. Les dirigeants de ces trois pays se comportent depuis plus d'une décennies en véritables «chefs d'Etat-voyous».
Les Congolais seraient mal inspirés de nourrir un grand espoir de changement suite à ce bref séjour de la patronne de la diplomatie US. Le changement sera l'oeuvre des Congolais eux-mêmes ou ne le sera pas. En effet, le Congo démocratique, dans sa configuration actuelle, ne présente qu'un «intérêt humanitaire» pour les Etats-Unis d'Amérique. Le pays est donc loin d'être un "partenaire vital" dans la stratégie américaine de la lutte contre le terrorisme ou le trafic de drogue. La RD Congo n'est pas non plus un gros exportateur de pétrole et du gaz...
Baudouin Amba Wetshi
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