Le commissaire européen Louis Michel congratulant le "président élu" le 6 décembre 2006. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous le pont.
Analyse
Joseph Kabila s'est-il trompé de priorités dans le cadre de ses «Cinq chantiers» ? Pendant que des entreprises chinoises sont occupées à transformer le Boulevard du 30 juin à Kinshasa en une autoroute à plusieurs bandes en pleine ville - et que le «raïs» s'est rendu la semaine dernière à Matadi pour lancer les travaux de la réhabilitation du tronçon routier Matadi-Moanda, les besoins de la grande majorité de la population en eau et électricité restent insatisfaits. N'est-ce pas que l'eau est synonyme de la vie?
A en croire le quotidien «Le Soir», lors du passage du cortège présidentiel dans le chef-lieu de la province du Bas-Congo, la foule a applaudi «avec une sorte de prudente circonspection». Des Mamans congolaises présentes devant le bâtiment de l'Onatra ont, elles, crié «bien fort pour que le président entende leurs récriminations : l'eau potable manque (…).» Un vrai dialogue de sourds qui ne peut survenir que lorsque les gouvernants ne sont pas à l'écoute des véritables attentes des citoyens. Kabila, paraît satisfait. «A Kinshasa, à l'Est, partout dans le pays, les travaux ont commencé», clame-t-il.
«Umoja Wetu»
Selon le «raïs», c'est l'instabilité dans les provinces du Kivu qui ont empêché les pouvoirs publics congolais à «faire autre chose» en s'occupant de la reconstruction. Comme pour reconnaître que c'est le Rwanda de Paul Kagame qui tirait les ficelles, il lance : «Tout comme nous, les Rwandais se sont rendu compte qu'on ne pouvait plus continuer comme cela, que la guerre, finalement, on ne la gagne jamais.» Kabila a néanmoins reconnu que des «forces qui veulent saboter le processus de paix» subsistent encore. Un aveu implicite que l'opération conjointe «Umoja Wetu» n'est pas parvenue à anéantir les combattants hutus des FDLR. L'Accord gouvernement-CNDP, encore moins.
Deux mois après cette opération militaire, les observateurs sont unanimes à reconnaître que la situation humanitaire dans la province du Nord Kivu ne cesse de se détériorer. Et ce, en dépit du soutien logistique consenti aux FARDC par la Mission de l'Onu au Congo. La province du Sud-Kivu n'est pas épargnée. Le bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) fait état d'un «climat de terreur» entretenu dans ces deux provinces tant par des éléments des FDLR et des combattants Mai Mai que par les forces gouvernementales". Joseph Kabila se veut optimiste. Selon lui, ceux qui menacent la paix à l'Est ne constituent qu'une «minorité». Pour lui, le moment est venu de mener «la lutte contre la pauvreté». «Car finalement, ajoute-t-il, c'est la pauvreté qui nous conduit à la guerre et vice versa.» Au nom de la lutte contre la pauvreté, ne fallait-il pas privilégier le «chantier» eau et électricité ?
«Elu» en novembre 2006, Joseph Kabila se trouve bientôt à mi-mandat. Les prochaines élections sont prévues en 2011. Pourra-t-il opérer des miracles en moins de deux ans ? Comme pour se consoler, le «raïs» se lance dans des propos pour le moins irrationnels : «Je préfère dire qu'il nous reste quatre ans. Quatre ans si on travaille 24 heures sur 24, ce que nous sommes en train de faire». Et pourtant, depuis son arrivée à la tête de l'Etat congolais, Joseph n'a jamais donné de lui l'image d'un «bosseur». Dans son édition daté 26 juin 2006, le quotidien français «Le Monde» n'avait-il pas qualifié le numéro un Congolais de «jeune président dilettante» ? Un président attiré par les aspects frivoles d'une fonction qu'il assimile à un divertissement et non une charge. Les «Cinq chantiers» inachevés ? Qu'importe ! «Le chemin à faire est encore long, mais l'essentiel est d'avoir commencé, fait-il remarquer. D'ici la fin de cette année, on verra un vrai changement.» En attendant, le président est à la recherche «des gens déterminés, dynamiques» pour l'épauler.
Des boucs émissaires
C'est ici que Joseph commence sa plaidoirie pro domo pour justifier l'échec qui profile à l'horizon. Il lui faut des «responsables». Il y a d'abord, ses collaborateurs. Question : Vous avez récemment souligné que vous aviez peu de collaborateurs fiables. Serait-ce vous qui les choisiriez mal ? Réponse frisant une naïveté puérile : «Pour choisir quelqu'un, il faut avoir une bonne connaissance de la personne. Et pour avoir cette connaissance, il faut travailler avec cette personne…Je ne peux pas changer mes conseillers tous les trois mois, il faut donner le temps aux gens… ». Le «raïs» de resservir sa phrase controversée prononcée dans l'interview accordée au «New York Times» : «Pour transformer un pays comme le Congo, il ne faut pas compter sur mille personnes, il faut avoir dix, quinze personnes bien déterminées.» Pourquoi ne trouve-t-il pas ces dix ou quinze oiseaux rares ?
Joseph Kabila ne devrait-il pas chercher les causes des «insuffisances» des ses «hommes» dans les critères de sélection? Ces critères sont-ils objectifs ou fondés sur le clientélisme politique, le tribalisme et le régionalisme ? En Belgique, les membres de cabinets politiques sont recrutés comme dans une entreprise privée. C'est-à-dire sur base du C.V. C'est un l'élément fondamental qui permet de présumer que l'impétrant correspond au profil exigé. L'examen du C.V est suivi par une entrevue ou interview avec le chef de cabinet. Le prétendant à un poste est parfois invité à coucher par écrit les actions à mener dans la cadre de la fonction. Il est donc parfaitement erroné d'affirmer, comme le fait le «raïs», que pour choisir un collaborateur, il faut bien le connaître. Et que pour avoir cette connaissance il faut travailler avec la personne.
Oracle
Huit années après son arrivée au sommet de l'Etat, Joseph se trouve encore au point de départ consistant à chercher dix à quinze hommes capables de l'aider à changer la société congolaise en combattant la corruption. Quand pourra-t-il se mettre au travail? Pour combler cette lacune, Kabila dit avoir trouvé la solution. Il va nommer un conseiller «en charge de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption» au sein de son cabinet. «Sa nomination fera partie des changements que je compte opérer d'ici le mois de juin», annonce-t-il comme un oracle. «Je vais chercher les quinze personnes qu'il me faut et les mettre à la bonne place.»
Il apparaît que le monde occidental passe pour le second «responsable» des déboires du «raïs». En cause, des promesses non-tenues. «Il n'y a eu que des discours», « il y a eu plus de promesses que des réalités» souligne-t-il. Et d'expliquer que c'est ainsi, qu'il a arrêté ses voyages en Europe. «(…), le tourisme ne m'intéresse pas». Question de la journaliste : Comment expliquez-vous que les Occidentaux semblent beaucoup plus critique à votre égard que durant la transition? Réponse: «Peut-être se sont-ils rendu compte que je n'étais pas aussi maniable qu'ils le croyaient, que je ne reçois d'ordres de personne, sauf de mon peuple. Je ne veux exécuter que la volonté de notre population, qui souhaite la paix, la reconstruction et le développement du pays, la stabilité.»
Joseph semble répondre indirectement à la communauté internationale. Celle-ci lui reproche l'impunité accordée aux groupes armés opérant aux Nord-Kivu et surtout le refus de transférer le «général» Bosco Ntaganda à la CPI (Cour pénale internationale) à La Haye. La semaine dernière, Amnesty International a relancé la question dans une lettre ouverte adressée au chef d'Etat congolais. Sur un ton de défi, celui-ci note que «d'autres partenaires s'intéressent beaucoup au Congo». C'est le cas, selon lui, notamment de la Chine, de la Corée du Sud, de la Russie, du Brésil. Kabila termine cet entretien par une phrase pour le moins étrange : «Je me dis souvent que mon arrière-grand-père a été assassiné, mon grand-père aussi, mon père également, comme vous le savez. On se pose toujours beaucoup de questions… ».
B.A.W
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